Intervention de Gérard Ré, responsable CGT à l’action vers les sans-papiers
Bonjour à toutes et à tous,
Je tiens d’abord à remercier la section de Vénissieux pour l’invitation. Je suis d’origine niçoise et également adhérent à la section de Nice. En tant que syndicaliste, nous avons abordé la question du travail et des droits. Vous avez mentionné tout à l’heure l’épisode de la Basilique Saint-Denis, et je vais remonter à cette période pour reprendre les 15 dernières années de lutte aux côtés des sans-papiers.
Évolution de la Lutte des Sans-Papiers
Il est important de rappeler que depuis 1947, plus de 100 textes successifs ont été adoptés concernant l’immigration. La question des sans-papiers est donc une construction. Dans les années 80 et 90, des personnes sans titre de séjour ont mené plusieurs luttes. À la fin des années 2000, alors que le président de la République avait fait de l’immigration un thème de campagne avec le slogan de « l’immigration choisie », on aurait pu penser que ça allait donner un coup d’arrêt à ces mobilisations. Mais avec les camarades de la CGT, les travailleurs sans papiers ont fait quelque chose d’extraordinaire puisqu’ils ont mis en œuvre leur intelligence collective pour transformer leurs luttes en s’appropriant un mode d’action syndical, celui de la grève.
Les Grèves de 2009-2010
En 2009 et 2010, plusieurs milliers de travailleurs sans papiers se sont mis en grève en région parisienne, avec des piquets de grève dans des entreprises, des agences d’intérim, et des lieux symboliques comme le musée de l’immigration ou la place de la Bastille. Ces luttes ont permis de reconstruire des droits pour les travailleurs sans papiers, affirmant l’égalité des droits entre tous les travailleurs. Ces luttes ont permis de reconstruire du droit pour les travailleurs sans papiers. C’est important, puisque construire du droit, c’est construire l’égalité des droits entre les travailleurs et c’est faire solidarité de classe entre tous les travailleurs. Car c’est pas le fait qu’ils soient immigrés qui fait qu’ils sont exploités. C’est le fait que ces travailleurs n’ont pas de droit, ils n’ont pas de droit parce que ils ne peuvent pas faire valoir leurs droits en tant que travailleurs sans papiers parce qu’ils n’ont pas de titre de séjour.
L’Importance du Droit du Travail
On a la chance d’avoir un pays, parce qu’on a encore un code du travail n’en déplaise à certains, qui fait que à partir du moment où on travaille, le droit du travail s’applique quelle que soit notre situation administrative. Nous avons des droits, nous avons tous et toutes les mêmes droits. Nous avons le droit de travailleur, c’est à dire le droit au congé, le droit à un temps de travail, le droit à un travail décent, le droit à une protection sociale, etc. Cependant, faire valoir ses droits est plus compliqué pour les travailleurs sans papiers. Le patronat en a profité pour exploiter ces travailleurs, mais les luttes syndicales ont permis de faire évoluer le droit en faveur du monde du travail.
Le patronat a tout de suite compris qu’en fait, les différentes luttes de travailleurs sans papiers ont permis de gagner des droits. Ces travailleurs qui s’organisent avec la CGT font évoluer le droit et ils font évoluer le droit favorablement au monde du travail.
La Circulaire Valls de 2012
Je pense qu’il faut en mesurer la portée. Les luttes de 2009-2012 ont conduit à l’adoption de la circulaire Valls, qui permet la régularisation de dizaines de milliers de travailleurs. Même si on n’est pas des ardents défenseurs de la circulaire parce qu’elle est bien sûr très largement insuffisante, ce n’est qu’une circulaire, très loin de ce que demande la CGT, la régularisation des travailleurs sur simple preuve de travail. Mais bien que cette circulaire soit insuffisante, elle représente une avancée significative.
Exemples de Luttes Exemplaires
Depuis, plusieurs luttes exemplaires ont permis d’obtenir des droits pour les travailleurs sans papiers. Par exemple, les travailleurs d’un chantier en région parisienne ont obtenu leur régularisation et des reclassements professionnels après un accident de travail sur le chantier de la rue Breteuil, un beau quartier parisien. Après l’accident, l’employeur leur dit, vu qu’ils ont pas de papiers, rentrez chez vous, vous ne travaillez pas ici. Ils se mettent en grève, ils vont trouver la CGT. Et au bout de leur combat, ils gagnent la réintégration , des reclassements. Et au bout du bout, ils attaquent leur employeur aux prud’homme sur la question de la discrimination systémique. On a démontré que ces ces travailleursont été discriminés en fonction de leur origine ethnique. Ils étaient plus ou moins bien lotis, des taches assujetties en fonction de leur origine. Oui, c’est comme ça que ça se passe. Sauf que c’est le premier jugement qui constate cette discrimination systémique.
De même, les travailleuses d’un salon de coiffure à Paris ont obtenu leur régularisation et la reconnaissance de la traite des êtres humains. Elles se sont mobilisées pendant plusieurs mois face à un employeur qui les surexploitaient. En se mettant en grève, elles ont fait valoir leur situation. C’était la première grève de travailleuses, qui travaillaient pour des négriers il faut bien le dire, Elles ont fini par obtenir Leur régularisation. Certaines d’ailleurs sont aujourd’hui ont obtenu la nationalité française. Et elles ont pu obtenir le fait de reconnaître qu’il y avait eu traite des êtres humains.
La Loi Immigration de 2023
En 2023, la préparation de la loi immigration a conduit à une grève coordonnée de travailleurs sans papiers en région parisienne. Cette grève a permis de peser dans le débat et d’obtenir la régularisation de nombreux travailleurs. Nous avions avec la CGT pendant quasiment 2 ans travailler sur le la mise en mouvement de travailleurs sans papiers, qui a conduit à ce qu’on appelle une grève coordonnée. Sur un peu plus de 35 piquets de grève, impliquant 500 travailleurs en mouvement qui se sont mis en grève à partir de 17 Octobre 2023 avec l’objectif de peser dans le débat sur cette loi d’immigration. Bien sûr, ils étaient pas maître du calendrier institutionnel et des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat malheureusement, mais ça a permis pendant cette période que l’on puisse parler du travail de ces personnes, de l’apport qu’ont les travailleurs immigrés dans notre pays, de la régularisation de ces travailleurs, de quelle place on pouvait leur donner. Ils ont tenu bon parce que dans cette période là vous imaginez bien que c’est ça n’a pas été facile.
Aujourd’hui, malgré les difficultés, la quasi totalité de ces travailleurs, même s’il en reste un certain nombre à régulariser, ont obtenu un titre de séjour, et pour certains, ils sont en passe de le faire. Mais aujourd’hui, et c’est vrai pour ceux d’avant, ils sont dans une situation de travail qui a complètement évolué, c’est à dire qu’ils sont en situation de faire valoir leur droit, de pouvoir changer de travail lorsqu’ils le souhaitent, de faire des choses qui peuvent nous sembler complètement anodines, par exemple de pouvoir rentrer au pays pour aller en vacances et voire les leurs. Ce sont des choses qui peuvent paraître simples à chacune et chacun. Et pourtant que ces travailleuses et travailleurs ne peuvent pas faire de manière habituelle.
Le Contexte Actuel
Cependant, la montée en puissance de l’extrême droite en France et en Europe représente un nouveau défi, après le niveau du rassemblement national aux élections européennes et législatives, puis la dissolution. Le nouveau gouvernement, avec Monsieur Retailleau comme ministre de l’Intérieur, dans le contexte d’un nouveau pacte européen de l’immigration, a annoncé vouloir annuler la circulaire Valls et durcir les politiques migratoires. Cette circulaire permet la régularisation de travailleurs et travailleuses, mais pas que. Il y a des dispositions pour les familles, les parents isolés, les parents qui ont des des enfants scolarisés. C’est une circulaire avec une portée importante. On ne peut pas l’annuler comme ça puisque le code des étrangers cite cette circulaire. Il faudrait une autre loi pour l’annuler.
Cela étant, on sent bien que il va y avoir une évolution et une des premières déclarations du ministre a été de dire, il faut régulariser au compte-gouttes, et expulser beaucoup plus. C’est ce qu’on constate, les régularisations sont déjà plus difficiles, et les préfectures sont incitées à expulser davantage de personnes, de travailler plus sur les oqtf, d’être en mesure d’expulser plus. Les personnels de préfecture qui vont travailler sur ça ne seront pas disponibles pour travailler sur les régularisations. On est dans ce contexte.
L’Importance de la Lutte Syndicale
Attaquer les droits des travailleurs sans papiers, c’est s’en prendre bien sûr à ces personnes pour qu’ils n’aient plus le droit, pour qu’ils n’aient plus le moyen de faire valoir leurs droits. C’est s’attaquer à l’égalité des droits et à l’ensemble du monde du travail. C’est ne pas permettre à une part importante des salariés, de la classe ouvrière de notre pays, 4 à 500 000 personnes dans notre pays, on ne parle pas de quelques milliers, qui ne sont pas en capacité de faire valoir leurs droits. Ce que vise le ministre, ce n’est pas de dire on aime ou on n’aime pas les travailleurs immigrés, il veut que dans ce pays, il y ait des gens qui soient obligés de travailler aux conditions que le patronat aura fixé, parce qu’ils ne seront plus en capacité de faire valoir leurs droits, et bien sûr de s’organiser pour lutter et améliorer les droits de toutes et tous.
Dans ce contexte, la CGT appelle à un mouvement de force pour défendre ces droits. Une première opportunité sera la Journée internationale des droits des migrants le 18 décembre, avec une grande journée de mobilisation le 14 décembre. Nous avons proposé à l’ensemble des organisations syndicales de se mobiliser. Sans surprise, la CGT, FSU et Solidaires sont d’accord pour s’engager sur cette bataille.
La Campagne contre le Racisme
La CGT, avec d’autres organisations syndicales, lance une campagne contre le racisme, la xénophobie, et l’antisémitisme dans les entreprises. ce 18 décembre à Montreuil, une réunion avec les associations, la LDH, la Cimade, le gisti, et tous ceux et celles qui veulent s’y s’y joindre. Avec donc une grande journée de mobilisation des travailleuses et des travailleurs, mais de tout le camp progressiste, pour exiger l’égalité des droits et donc la régularisation des travailleuses et des travailleurs sans papiers.
Cette campagne est essentielle pour lutter contre le Rassemblement national et pour avancer dans la lutte pour l’égalité des droits.
C’est vrai qu’on vit une une période qui est pas facile, qui l’est encore moins bien sûr pour les immigrés.Mais cette période est aussi intéressante parce qu’on sent bien que ce gouvernement est en très grande difficulté. Sur cette question, on peut les mettre en très grande difficulté avec ces lutte de travailleurs sans papiers.
On a mis en difficulté l’extrême droite quand en 2017 on a occupé le MIN de Rungis, qui est le fief du Rassemblement national, en pleine campagne sur les élections présidentielles. D’habitude, Marine Le Pen y allait faire des meetings, rencontrer les commerçants, les patrons, et cetera. Et elle s’y montrait parce que il fallait y être là-bas, à Rungis. Pendant qu’on a occupé le MIN de Rungis, elle n’y a pas mis un pied.
Les gens sont obligés de soutenir les travailleurs sans papiers. Quand on en parle autour de nous même des gens qui d’habitude pourraient avoir une aversion ou en tout cas des relents racistes, quand on leur dit, il y a des travailleurs qui sont en grève, pour eux, ça fait sens parce que c’est la personne qui nettoie les rues, qui livre leur repas, qui construit nos bâtiments, qui a pu par exemple construire les bâtiments pour les Jeux olympiques.
Et donc c’est ça qu’il faut qu’on porte, c’est que une France sans immigrés, c’est une France dans laquelle on ne pourrait pas aller au restaurant parce qu’il n’y aurait pas de cuisinier. C’est une France où on ne pourrait pas se faire livrer les repas parce qu’il y aurait personne pour le faire. C’est une France où il n’y aurait personne qui pourrait construire les immeubles. Ce n’est pas qu’il faut qu’il y ait des immigrés pour ces métiers là, mais c’est une réalité.
Conclusion
Et depuis toujours, notre France s’est construite avec les immigrés, y compris dans le mouvement social. Elle doit beaucoup à la main d’œuvre étrangère, y compris dans la résistance et donc main d’œuvre immigrée, main d’œuvre locale, travailleuses et travailleurs unis, nous devons lutter ensemble pour l’égalité des droits, pour la justice et pour le progrès social.
#### Question : Pourquoi on n’y arrive pas ?
Je veux quand même te provoquer un peu. On ne peut qu’être d’accord sur ta conclusion. Et pourtant, pourquoi on a le sentiment qu’on n’y arrive pas ?
On n’y arrive pas parce qu’on est trop faible, on n’est pas assez nombreux ? C’est pas faux, d’ailleurs on n’y arrive pas sur tous les sujets, on n’y est pas arrivé sur les retraites, on n’y est pas arrivé sur le droit du travail, les cheminots n’y sont pas arrivés sur le statut de la SNCF. La vérité c’est qu’on on mobilise aujourd’hui des minorités. Les plus grosses journées de mobilisation sur les retraites en France mobilisent 10% des actifs, grand maximum. Il y a 30 000 000 d’actifs en France. Des journées à 3 000 000 dans la rue avec 1 000 000 de retraités, c’est beaucoup moins de 10% des actifs qu’on mobilise. C’est la vérité du rapport de force général. Et donc faut-il simplement se dire : on continue ? à mener les batailles qu’on mène et à dire et à faire la même chose, ou bien on se dit qu’il y a un problème.
Ce n’est pas qu’au plan syndical, je pourrais le dire au plan politique, parce que la gauche qui paraît-il aurait gagné aux législatives en juin, au premier tour elle mobilisait un électeur sur cinq, 2 fois moins qu’en 1981. C’est la vérité du rapport de force, faut pas se raconter d’histoires. Donc si on n’y arrive pas, pourquoi ?
Quelque part, comment on prend cette question de la concurrence dans le logement, dans l’emploi que vivent les milieux populaires et qui conduit à des divisions sur lequel prospère le racisme. Est ce qu’on les prend suffisamment en compte ? J’ai le sentiment que tu me dis, on mène de bonnes batailles et on va continuer à les mener et et demain on va trouver quelque chose. J’ai le sentiment qu’on est face à un problème, qu’il faut le mettre sur la table si on veut être franc Certains disent, c’est un problème entre la périphérie et les et les villes. Mais c’est pas vrai. A Vénissieux, grosse ville populaire de la première couronne d’une grande métropole, l’extrême-droite fait quand même 25% au premier tour :
Réponse de Gérard Ré
Je comprends votre question sur le sentiment de ne pas y arriver. Il est vrai que nous mobilisons souvent des minorités, même pour des causes importantes comme les retraites. La vérité du rapport de force est que nous ne mobilisons qu’une petite partie des actifs. Cependant, il est important de reconnaître la portée de nos luttes. Par exemple, les luttes de 2023 ont contribué à isoler le gouvernement et à le mettre en difficulté.
Nous devons continuer à mener ces batailles et à activer le rapport de force. La lutte contre le racisme est également cruciale pour avancer. Nous devons prendre cette question à bras le corps et mener une campagne contre le racisme, la xénophobie, et l’antisémitisme dans les entreprises.
En conclusion, la lutte des travailleurs sans papiers est essentielle pour l’égalité des droits et le progrès social. Ensemble, nous devons continuer à lutter pour la justice et pour un avenir meilleur.