Intervention de Horia Saihi, écrivaine algérienne, militante communiste
j’ai été militante à l’université en Algérie, je n’avais pas de carte, mais j’étais dans le mouvement. J’étais à la fac de droit avant de bifurquer vers des études audiovisuelles.
Eh bien, en Algérie, les années 70, le pays, on pouvait dire qu’il allait bien. L’économie allait bien, l’Algérie, le pays allait bien. Il n’y avait pas de chômage, la santé allait bien, il y avait la gratuité des soins. Il y avait des entreprises qui se créaient énormément, l’industrialisation, les écoles se construisaient, les universités, donc il y avait pas besoin d’aller à l’étranger.
On ne savait pas ce que c’était que l’immigration, l’immigration, c’était avant, lorsqu’on regarde dans le rétroviseur. C’est à dire la période coloniale.
Et lorsqu’on sortait d’Algérie, on avait la fameuse autorisation, l’autorisation, j’allais dire paternelle, l’autorisation du gouvernement ou du FLN.
Moi, je n’ai jamais pensé aller à l’étranger comme beaucoup de jeunes. Pourquoi ? Parce qu’il y avait des perspectives. C’est à dire qu’on savait qu’on allait avoir un boulot. On savait qu’on allait pouvoir avoir un logement, même si c’était très compliqué. C’est à dire, on allait avoir un avenir.
Et je vous dirai une chose, je saute à la période de terrorisme, la décennie noire. Nous étions tous condamnés à vivre, même si on était condamnés à mourir. Moi, j’ai été condamné à mort. Beaucoup de mes collègues ont été assassinés. Pourtant, nous n’avons pas déserté, nous sommes restés.
Parce qu’il fallait défendre la République, défendre ce qui était dans les entreprises, défendre leur outil de travail, défendre leur entreprise et aussi résister.
Et on a résisté merveilleusement. Et là comment se fait il que beaucoup partent, beaucoup de jeunes dans des chaloupes de fortune, prendre des risques. Moi je ne prendrai pas une chaloupe en plein hiver, d’ici là-bas je ne partirai pas. Et eux ils font ces trajets là. Parce qu’ils sont dans le désarroi, ils n’ont pas de perspective, pas d’avenir.
Et je vous dirais moi, je me retrouve dans la même situation qu’eux. Je ne suis parti à l’étranger que pour étudier, donner des conférences, me déplacer à un festival. Et puis je me retrouve, je ne savais pas trop ce que c’était que le mot, immigré, immigration. J’ai été chercher dans le dictionnaire. Eh bien, qu’est ce qu’il dit ce dictionnaire ? Il donne cette définition, c’est l’action d’aller s’installer dans un pays étranger, définitivement ou pour une courte ou longue durée, mais pas définitivement, ou définitivement.
Mais ce qui s’écrit en larmes, en douleur, physique, psychologique, attente, contrainte pénible, tout cela ne s’écrit pas.
Et là, lorsque je suis arrivée en France, je suis arrivée avec un visa grec. Pourquoi ? Parce que les Français, la France, l’ambassade ou le consulat ont refusé de me délivrer le visa, un visa Schengen alors que toutes les années, les années précédentes, on me convoquait presque. Madame, votre visa se termine d’ici quelques mois, venez récupérer votre visa et j’avais un visa,, tenez-vous bien à faire. Et je m’étais posé la question cette année-là, en 2000, pourquoi ont-ils refusé de me délivrer le visa ?
L’immigration est choisie. J’étais communiste, il le savait sûrement. personnalité publique, militante communiste. Et aussi surtout, j’ai été arrêtée en 99 pour atteinte à l’ordre public. J’ai été jugée et condamnée. J’ai été par la suite, licenciée parce que j’ai fait campagne avec mon parti, campagne contre Bouteflika. Il faut dire que Bouteflika amnistiait et graciait les islamistes. Avant lui, c’était Chadli qui avait démantelé les entreprises. C’est pour cela que nous nous retrouvons dans cette situation. Diabolisation donc de de tout ce qui était un tant soit peu républicain ou démocrate, selon si on est pour le socialisme, on est quand même des républicains, même si on n’est pas communiste. Des libéraux ? Ou bien la bourgeoisie nationale ? Quand on parlait de nationale, tout à l’heure, tu parlais de la bourgeoisie nationale qui défendait, qui produisait, qui créait, qui développait donc des entreprises qui créaient de l’emploi.
Eh bien là, dans tous les quartiers, vous trouvez des jeunes Algériens qui vendent qui des paquets de cigarettes. Euh. Qu’est ce qu’ils ont comme avenir dans de l’autre côté, un pays où il n’y a pas de démocratie Lorsqu’un pays comme le nôtre, très riche, comme beaucoup de pays africains, on a du gaz, du pétrole, on a du fer de haute teneur, on a du diamant, de l’or, on a un sous-sol, mais il y a aussi le sol, des terres et on a des hommes et des femmes formés. Beaucoup. Certains disaient que leur médecin est un Algérien. Le chirurgien était un algérien donc on a fini par sortir des des bonnes femmes qui torchaient le cul des des petits vieux dans les hôpitaux. Ce sont des cadres formés qui ont coûté à l’Algérie. Et l’immigration algérienne a coûté 0,00€ à la France.
Et certains disaient la France s’est plus enrichi en utilisant tous ces cadres formés à coups de milliards par l’Algérie qui arrive en France formée. C’est ça qui est terrible. Et l’Algérie a besoin de tous ces hommes et ces femmes, a besoin de ces cadres. Certains ont choisi de partir parce qu’ils n’ont pas de perspective, mais aussi parce qu’il n’y a pas de liberté.
Lorsque vous tenez la main de votre copine et on vous criminalise, on vous dit, vous n’avez pas le droit. Tout était interdit, lors des années 90 et nous avons vraiment souffert. Les islamistes ne s’attaquaient pas qu’aux intellectuels. C’était le policier du coin, c’était le voisin, c’était la femme qui ne souhaitait pas porter le voile, c’était la femme qui a élevé sa voix contre les assassinats, et cetera.
Et lorsque je suis arrivée en France, j’ai découvert cette France que je ne connaissais pas. Du moins, je la connaissais peut être dans les livres ou à travers ce que j’ai appris.
Le racisme est latent. Pourquoi ? On se pose la question, pourquoi on n’aime pas les uns, pourquoi on n’aime pas les autres, pourquoi l’autre il est pas fait comme il doit être fait. Ce sont des hommes et des femmes qui sont poussés par la misère, d’autres pour fuir les guerres et ils se retrouvent dans un pays qui a besoin pourtant d’eux, mais ils doivent être invisibles.
C’est à dire lorsqu’on a besoin d’eux, on les sort de leur quartier ou de leur squat pour travailler ?
Et lorsque je suis arrivé à Saint Denis où j’ai posé ma valise, d’abord, j’ai toqué à la porte du Parti communiste et même si j’étais membre du Conseil national du de l’ex Parti communiste en Algérie, je continuais à faire les allers-retours quand je pouvais.
Et bien c’était la question des sans papiers. Les sans papiers, ceux qui devaient fournir une tonne de papier pour être régularisés, dont lorsqu’on parlait d’eux, on disait les sans papiers ou les sans papières. À ce moment-là, nous avons occupé la Basilique de Saint Denis grâce au soutien d’un prêtre ouvrier. Et c’est là où j’ai compris ce que c’était que cette France qu’on ne voulait pas voir, mais cette France dont on voulait, c’est à dire l’exploiter une immigration corvéable et j’ai compris que il y avait quelque chose qui ne tournait pas.
Pourquoi on ne veut pas de ces hommes et des de ces femmes qui peuvent apporter ? Qui ont une expérience, qui ont un parcours, qui peuvent apporter, pas simplement ceux qui ont des diplômes mais qui peuvent enrichir. Parce que lorsqu’on voit un Bardella qui est d’origine marocaine ou algérienne, Zemmour qui est d’origine algérienne, comment s’appelle l’autre qui a avoué qu’il était Moussa à la Saint naissance ? On est tous des frères et des sœurs, pas dans l’Église, mais dans la vie, c’est à dire s’entraider, accompagner l’autre.
Et là je m’étais dit, il y a quelque chose qui ne va pas. Mais de l’autre côté, j’ai comme l’impression qu’on ne saisit pas cette chance de, comment dirais je ?, de cette force, ces hommes, ces femmes qui viennent, qui apportent un plus. Ils apportent leur expérience, mais on continue à les diaboliser.
Et c’est le cas aussi dans d’autres pays européens. Méloni, qu’est ce qu’elle a fait ? Elle a signé un accord avec l’Albanie pour refourguer, d’ailleurs c’est illégal et elle a été retoquée. Elle a refoulé ces hommes et ces femmes, en les monnayant. Ca lui a coûté pas moins de 576 000€. Ces hommes et ces femmes, c’est véritablement de la déportation, et malheureusement pour elle, le 21 octobre, le tribunal de Rome a annulé cette décision.
Ils étaient obligés de ramener dans le pays ces immigrés. Ils les ont ramenés, ils ont déboursé un fric fou. Mais ils continuent à agir. Et moi j’ai peur d’une chose, c’est que d’autres pays, comme la France ou d’autres, vont fourguer, excusez-moi, de ce ces immigrés dont on ne veut pas à d’autres pays.
Mais comment dirais-je, ils n’ont pas baissé les bras, puisque ce 21 octobre, ce même Conseil italiens, a approuvé un décret, d’une liste de 19 pays d’origine sûre ? Vous savez ce que c’est que les pays sûrs ? Je je vous donne en 1000, l’Égypte de Sissi, le Bangladesh aussi, dont les ressortissants ne pourront pas demander le droit d’asile. Que vont devenir ces ces hommes et ces femmes qui sont dans ces pays là ? Ils n’ont que qu’une possibilité, parce que certains ont des papiers, on leur donne des papiers. C’est des récépissés sans autorisation de travailler. C’est à dire qu’ils ont 4 possibilités, ces ces, ces hommes et ces femmes, c’est soit travailler ce qu’on appelle au noir. J’aime pas trop cette expression au Black, c’est à dire corvéable à merci, aucune protection, soit ils vont voler, soit se prostituer, soit se suicider.
J’ai dû agir avec la Cimade, avec la Ligue des droits de l’homme pour sortir un jeune algérien d’un centre de rétention. Le gars voulait se suicider, il n’en pouvait plus. Moi je n’ai pas visité le centre de rétention, j’avais la possibilité, j’ai refusé. C’est trop. Ce qu’on m’a raconté me suffisait. Eh bien sachez que ces hommes et ces femmes qui se retrouvent dans les centres de rétention, lorsqu’ils sont renvoyés dans leur pays, ils subissent. Je vous dirais, c’est le cas des Algériens, parce qu’il y a une loi qui condamne ceux qui sont sortis d’une manière illégale. C’est une amende très forte pour ceux qui ont épuisé leurs économies. Parce que pour traverser la Méditerranée dans une barque de fortune, il faut payer grassement les passeurs et aussi une peine d’emprisonnement.
C’est vous dire que ceux qui sont ici doivent être régularisés. Et beaucoup travaillent. Ce ne sont pas des délinquants comme les ont traités et les zemour et autres Bardella, ces hommes et ces femmes, s’ils sont là, il faut les régulariser, les aider, les accompagner.
Parce que lorsqu’on traverse la Méditerranée, j’en ai rencontré quelques-uns, ils sont complètement fracassés, fracassés. Lorsqu’on voit la mort, on conjugue, comment dirais-je, on tutoie la mort tous les jours, on n’arrive pas indemne. Je vous dirais une chose, arrivé en France, comme moi, comme tant d’autres, on aspire à être citoyen à part entière. Moi, je ne l’étais pas dans mon pays. Parce que l’infamant code de la famille fait de nous, fait de moi, des femmes, des mineures à vie.
Je pensais vraiment profiter, cela n’a pas été le cas. Même lorsqu’on est surdiplômé, lorsqu’on maîtrise la langue, ce n’est pas tout à fait cela. Il faut être aux ordres lorsqu’on est journaliste, accepter l’inacceptable, ce qui était peut être préférable d’accepter dans son propre pays.
Et un ouvrier n’est pas forcément un ouvrier, il ne sait rien faire. Ils arrivent avec des diplômes, ils sont surdiplômés, parfois des ingénieurs, des médecins qui travaillent aussi comme sous payés, moins bien payés que leurs consœurs français. Il faudrait que ça cesse, qu’on sache aussi une chose, tout à l’heure, mon compatriote, puisqu’on est africains tous les deux, il faudrait que les les pays impérialistes, capitalistes,parce qu’ils veulent pas de ces hommes, de ces femmes, qui arrivent sans papiers, c’est qu’ils arrêtent de soutenir les pouvoirs vomis et non voulus par leurs citoyens.
C’est le cas de d’énormément de pays. Ils n’en peuvent plus, donc ils partent, ils n’ont pas la force de se battre. Et aussi surtout parce que ces pouvoirs là font tout pour déstabiliser toutes les forces, ceux qui résistent, ceux qui veulent un changement, ceux qui veulent une démocratie.
Ils font tout, pour les amadouer, ils leur proposent des strapantins, ils les embrigadent, de manière à ce qu’il y ait aucune résistance, c’est à dire qu’on cesse d’être ce citoyen responsable, ce citoyen qui doit bien au contraire participer au changement.